Mother!
Je préviens tout de suite. Ça va être difficile de ne pas révéler l’intrigue.
Pour vous donner un avis rapide avant tout chose :
- J’ai aimé parce que le film est techniquement beau, avec un parti pris de ne jamais quitter la tête de Jennifer Lawrence.
- J’ai aimé parce que les acteurs sont bons, quelle que soit la circonstance.
- J’ai aimé parce que le film est claustrophobe avec cette unité de lieu et le travail sur le son, assez anxiogène. Il propose un parti pris fort, qui détonne avec le cinéma américain actuel, assez prompt à taper sur les clous qui dépassent.
- Et j’ai aimé parce que ça m’a parlé.
Et c’est là où ça dévoile un peu des choses. Donc pour ceux qui n’ont pas vu le film : partez maintenant.
On le sait dès les premières minutes, ce film se passe dans un univers qui n’est pas réel.
Reste à définir son niveau d’abstraction :
Est-ce que l’on parle de religion ? Est-ce que l’on parle de l’humanité ? Qui ou quoi représente le couple Javier Bardem et Jennifer Lawrence et la maison ?
Je pense que le film parle d’un peu tout ça. On a forcément le triptyque : Créateur / Création / Créature qui peut évoquer, au choix
- Dieu / Les religions / Les Hommes
- La Nature / La Terre / Les Hommes
Et forcément, il y a de ça. Mais la piste qui me parle le plus, qui englobe pour moi toutes les théories, c’est celle du créateur d’oeuvre.
Voici ma timeline du film :
Intro/Outro : On casse tout, on détruit tout, pour partir d’une feuille blanche, transparente, comme la robe de Jennifer Lawrence, libre et sans entrave, comme le morceau de verre. On crée un cadre où l’on se sent bien pour créer on crée une maison.
Set up : On passe son temps à chercher l’inspiration, on vit avec notre muse. Dès qu’on la trouve, elle nous donne ce qu’elle a de plus pur, de plus vrai. Comme un matériau fragile et précieux, on le garde précieusement.
Evénement perturbateur : Mais on a besoin des autres pour la faire vivre, pour créer une dynamique. On fait intervenir d’autres personnes dans le processus créatif. Mais on commence à la pervertir, parce que l’on a besoin du retour, du regard, de l’admiration des autres.
Climax : Avec violence, on crée un conflit intérieur, on bouscule les code et la zone de confort : finalement, on bouscule notre idée, on la malmène, on casse la pureté originelle : on produit une oeuvre.
Gestation : Les moments de créations sont alors des moments paisibles, on vit avec notre muse.
Délivrance : Puis vient l’accouchement, le terme de la création : les autres, les personnes extérieures s’en emparent, l’interprètent, la détournent, la pillent, dans un tumulte. Une fois que l’on a créé, notre oeuvre ne nous appartient plus. Le marketing nous séduit, on oublie l’idée, l’oeuvre pour se consacrer au succès, aux personnes.
Dépossession : On déforme, on interprète. Notre oeuvre est devenu un produit sous les assauts du marketing, sous les dogmes que les fans ont créé autour. Notre enfant est digéré, absorbé par la masse, la société, la culture. On a perverti notre idée, pour en faire une oeuvre, pour se faire aimer.
Intro/Outro : bis repetita.
Javier Bardem le dit, au détour d’un dialogue : sa maison a déjà brûlé, par le passé et le cœur de cristal est le seul vestige.
Ce cercle est destructeur, pour la création, pour le créateur. Mais, malgré tout, c’est le seul moyen.
Et ça me parle, parce que même si je ne suis pas un Auteur, un Vidéaste avec des majuscules, je vois bien le bouillon intérieur qui se crée pour chaque ligne écrite, chaque minute de vidéo tournée, chaque moment où mon cerveau se bat pour faire exister dans le monde le produit de mon inconscient.